29 novembre 2017 - 10:42
Derrière la lutte contre les crimes informatiques
Par: Karine Guillet
Le policier Martin Houle est spécialisé en leurre informatique. Photo: Karine Guillet

Le policier Martin Houle est spécialisé en leurre informatique. Photo: Karine Guillet

Les policiers de la région doivent aussi combattre le crime sur le Web. Depuis le début de l’année seulement, elle comptabilise une centaine de dossiers concernant des ordinateurs. Le sergent-détective aux crimes contre la personne Martin Houle est spécialisé dans les leurres informatiques à la Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent (RIPRSL). Le journal l’a rencontré dans les bureaux de la Régie, à Sainte-Julie.

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Alors que certains corps de police ont leur propre escouade informatique, constituée de policiers spécialement formés en la matière, le sergent-détective Houle est plutôt autodidacte. D’abord policier aux fraudes, puis aux crimes contre la personne, il a tranquillement fini par se créer une spécialité des crimes informatiques à force d’être sollicité sur ce type de dossiers par ses collègues en raison de son intérêt pour l’informatique.

Il travaille surtout aux crimes de leurres informatiques, ce qui inclut les infractions à caractère sexuel. Le policier estime que 75% de son travail se compose de deux types de cas; la distribution d’images intimes de mineurs (considéré comme de la pornographie juvénile) et la pédophilie à partir de faux compte. Les victimes sont à 80% des filles et les mineurs sont surtout touchés.

«Ils (les jeunes) sont à l’aise avec l’informatique, mais ils ne savent pas comment s’en servir correctement ou sécuritairement. Ce que je vois souvent dans les conversations, c’est qu’ils sont plus naïfs. Ils n’ont pas la même compréhension de la méchanceté que les adultes», explique-t-il.

Faux comptes

Dans ces cas, l’agresseur, souvent plus âgé, se cache derrière un faux profil Facebook à l’image d’un jeune et crée des liens émotionnels avec la victime pour l’inciter à lui envoyer des images ou des vidéos intimes. «On parle de cas qu’on voit régulièrement. On parle plutôt de pédophiles qui utilisent cette technique-là».

Des chicanes qui dégénèrent

Le policier voit aussi souvent des cas de distribution de photos intimes, dans les écoles notamment, souvent en raison d’une chicane d’amis ou d’une rupture amoureuse. Les images, d’abord échangées dans un contexte intime, finissent par circuler sur les médias sociaux. «En terme d’enquête, ça demande beaucoup d’efforts de retrouver toutes les personnes qui ont pu avoir en leur possession cette photo-là. Il faut la récupérer et s’assurer qu’elle est détruite pour éviter qu’elle ne se promène.»

Facebook travaille à développer un algorithme qui permettrait d’effacer une photo sur les médias sociaux et ainsi de limiter la propagation de telles images, mais qui n’affecte néanmoins pas le travail des policiers, puisqu’une infraction est tout de même commise.

L’adresse IP, nerf de la guerre

Pour résoudre les crimes informatiques, les policiers font appel à l’adresse IP (le numéro qui identifie chaque appareil connecté à Internet), unique à chaque appareil. Quand une infraction est commise sur un réseau social, les policiers doivent d’abord obtenir une ordonnance de communication, délivrée par un juge, pour obtenir notamment les adresses IP utilisées pour se connecter au compte. Les policiers peuvent obtenir de telles ordonnances, pourvu que les réseaux sociaux aient un bureau au Canada, comme c’est notamment le cas de Facebook.

De là, les policiers sont en mesure d’identifier les adresses les plus fréquentes et de les lier à un fournisseur de service. Avec une deuxième ordonnance de communication, ils sont ensuite en mesure de déterminer le propriétaire du compte. Les policiers devront ensuite déterminer le réel utilisateur pour éventuellement résoudre l’affaire.

Complications

Si dans certains films d’action, les malfaiteurs se cachent derrière des adresses IP qui n’en finissent plus de dévier, M. Houle constate qu’il est plutôt rare de se retrouver devant pareille situation, vu les connaissances informatiques requises.

Le dossier peut toutefois se compliquer lorsque l’adresse IP est située à l’extérieur du Canada. M. Houle estime que cette situation touche environ un dossier sur huit. Il a vu des cas où l’adresse suspecte est localisée en France. Dans de telles situations, la police passe par la GRC, qui envoie ensuite le dossier à Interpol, puis à la police française.

Réseaux les plus touchés

Facebook est encore le réseau social où l’on voit le plus de fraudes, suivi de Snapchat et Instagram. L’application Ask, qui permet à l’utilisateur de poser une question à la communauté, est aussi inquiétante, puisqu’elle constitue une belle porte d’entrée pour les pédophiles. La multiplication des plateformes de médias sociaux n’entraîne pas nécessairement une augmentation du nombre de crimes, mais plutôt une dispersion vers d’autres plateformes.

Et les garçons?

Les hommes, eux, sont plus souvent victimes d’extorsion. Ils partagent en privé des photos intimes d’eux à un faux profil d’une jolie fille. Pour inciter la victime à passer à l’action, le faux profil envoie une photo érotique de la jeune fille, qui peut aussi parfois être tirée d’une autre victime. Lorsque la victime passe à l’acte, l’arnaqueur menace alors de partager les images intimes à ses contacts ou de publier contre une rançon.

Alors que les arnaqueurs de ce type avaient auparavant tendance à demander une rançon directement à la victime, le sergent-détective constate qu’ils ont diversifié leurs tactiques, parce que les victimes, souvent des jeunes, n’avaient pas d’argent pour payer. Ils contactent maintenant les parents, qu’ils peuvent trouver dans la liste d’amis de la victime, pour avoir de l’argent.

 

 

Quoi faire?

-Avant de poser une action sur messagerie privée, les policiers recommandent de toujours se demander si cette action nous dérangerait si elle était rendue publique. Si la réponse est oui, on évite de poser le geste.

-Pour les parents, les policiers recommandent un contrôle de l’accès Internet le soir, puisque les crimes surviennent souvent en soirée.

-Se méfier de l’amour virtuel avec quelqu’un qu’on n’a jamais vu. Éviter aussi de fixer des rendez-vous avec des inconnus.

– Les victimes ne doivent pas bloquer leur agresseur. Bloquer quelqu’un fait disparaître la partie de conversation de l’agression, de même que les preuves.

-Faire des captures d’écran et appeler la police

 

Fraudes par ordinateurs

Les dossiers de fraude impliquant un ordinateur représentent environ 18% des fraudes totales rapportées à la Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent.

Le sergent-détective Martin Houle a aussi été sollicité dans ce type de dossier. Il constate beaucoup de fraudes de type «président» qui vise les compagnies. Dans ce cas-ci, un virus infecte le système de la compagnie pour crypter les données et les malfaiteurs exigent des compagnies une rançon en Bitcoins (monnaie virtuelle) pour revoir les données.

Chez les particuliers, le policier sociocommunautaire Jean-Luc Tremblay constate que les fraudes qui font le plus de victimes sont souvent celles qui répliquent des institutions financières ou même l’Agence de Revenu Canada.

Les dossiers de fraude sont souvent plus difficiles à résoudre en raison des petits montants impliqués. En vertu du Code criminel, le délai de prescription pour des fraudes de moins de 5000$ est de six mois. C’est sans compter que la collaboration de la victime diminue souvent avec le temps.

Du côté des fraudes, les policiers constatent qu’une plus grande proportion de crimes ont une adresse IP en provenance d’un autre pays. La Côte d’Ivoire se démarque particulièrement.

 

En chiffres

Nombre de dossiers* impliquant un ordinateur ou un téléphone depuis le 1er janvier à la Régie

Leurre au moyen d’un ordinateur: 12

Fournir de la pornographie à un mineur: 4

Production, possession et distribution de pornographie juvénile: 12

Fraude par ordinateur : 36

Fraude par chèque, carte de service à la suite d’un courriel reçu (incluant des fraudes sur des sites tels que Kijiji): 18

Autre type de fraude (ex. envoyer de l’argent à l’étranger): 29

*L’équipe de la criminalité de la Sûreté du Québec a aussi des dossiers provenant du territoire de son côté

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