22 avril 2021 - 08:47
Classes virtuelles : une fenêtre sur la violence familiale
Par: Sarah-Eve Charland

Julie Martel, intervenante à l’École du Fort Photo Robert Gosselin | L’Œil Régional ©

Elle tient des classes virtuelles, les yeux rivés à l’écran, mais surtout les oreilles grandes ouvertes. L’intervenante à l’École du Fort, Julie Martel, est directement connectée dans les maisons de ses élèves alors qu’elle devient témoin de parents tenant des propos s’apparentant à la violence psychologique envers les enfants. Un phénomène dans l’angle mort actuellement même si la violence psychologique est plus que jamais dans l’air du temps, observe-t-elle.

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L’École du Fort, une branche de l’organisme Intégration compétences, est un milieu alternatif qui permet à des jeunes de terminer leurs études secondaires.

« La vie domestique des jeunes a augmenté en violence psychologique. C’est très présent dans l’actualité en ce moment, mais on parle peu des jeunes. La beauté de faire l’école dans une classe virtuelle, c’est qu’on a accès aux maisons des jeunes. Et parfois, on est témoin de petites tranches de vie qui nous permettent de constater des choses qui ne sont pas adéquates », soutient l’intervenante.

Elle observe des propos qu’elles jugent comme de la violence psychologique, en passant par des propos inacceptables et par de la manipulation. Par exemple, elle connaît une jeune femme qui habite chez sa mère. Cette dernière vit avec des problèmes de santé mentale qui, bien que médicamentés, ne sont pas contrôlés. La mère a une relation « orageuse » avec son conjoint, mais en raison du confinement, la mère refuse que la jeune fille quitte la maison pour se ressourcer auprès de son chum.

« La jeune femme reste principalement dans sa chambre […]. Mon étudiante a tenté de poursuivre ses études à distance, sur la classe virtuelle de l’École du Fort, mais elle éprouve de la difficulté à se motiver. Elle n’avance pas vite. Sa mère a commencé à lui dire qu’elle ne terminera jamais son DES [diplôme d’études secondaires], qu’elle n’atteindra jamais ses objectifs de carrière, qu’elle ferait mieux de s’y résoudre tout de suite et d’envisager de travailler à temps complet », raconte Mme Martel qui souligne que cet exemple concret ressemble à d’autres histoires rapportées par des jeunes.

Une violence insidieuse

La violence psychologique est un domaine très vaste et peu compris, poursuit la psychologue et conférencière Geneviève Beaulieu-Pelletier. « On n’est parfois pas conscient d’avoir des comportements qui font partie de la violence psychologique. La violence physique, c’est plus acquis. La violence psychologique est insidieuse. Il y a certains parents qui seraient surpris de voir qu’ils ont des comportements liés à la violence psychologique. »

Par exemple, elle nomme la critique. À répétition, elle peut créer des effets néfastes chez l’enfant, d’autant plus que l’adolescence est une tranche d’âge importante pour le développement de l’identité et dans le développement des relations interpersonnelles, précise-t-elle.

« Comme parent, on a l’impression que la critique fait partie de la façon d’élever l’enfant. Mais quand on s’arrête réellement et qu’on regarde l’effet que ça a chez le jeune, on peut être bouleversé. »

Intervenir

En étant témoin de certaines scènes, l’intervenante à l’École du Fort dit en profiter pour entamer une discussion avec les étudiants concernés. Mais il est difficile d’y arriver si un lien de confiance n’a pas été établi avant la pandémie.

« Ces jeunes-là aiment leurs parents. Ils ne veulent pas entrer en conflit. Pour eux, ça fait partie de leur réalité. Ils ne le voient pas. Le contrôle passe par des petites choses », ajoute Mme Martel.

Le professeur et directeur du programme en intégration du numérique en milieu scolaire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Stéphane Villeneuve, souligne qu’il s’agit d’un phénomène tout nouveau sur lequel il faudra se pencher. Avant la pandémie, les enseignants n’étaient pas confrontés à ces situations.

« Les élèves du primaire et du secondaire se retrouvent en ligne par la force des choses. On voit des choses qu’on ne veut pas nécessairement voir. C’est un nouveau fardeau. Si je vois quelque chose d’inapproprié, à quel moment dois-je intervenir? », questionne le chercheur M. Villeneuve.

Et la question est pertinente, ajoute-t-il. Pour le moment, on ne retrouve aucune recherche sur le sujet puisque c’est un tout nouveau phénomène. Le gouvernement du Québec devra se pencher sur la question pour établir des balises qui pourraient être mises en application par les centres de services scolaires, suggère-t-il.

Pour la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, identifier les comportements et les nommer auprès du jeune pourrait déjà faire toute la différence. « Juste de pouvoir nommer les comportements pour que le jeune comprenne qu’on a été témoins de ça, que ça nous importe et qu’on peut en discuter, c’est déjà beaucoup. »

Ressources dans la région
CLSC : service téléphonique 811
Centre de femmes l’Essentielle : 450 467-3418
Entraide pour hommes : 450 446-6225
Les Ressources familles de la Maison de la famille de la Vallée-du-Richelieu : 450 446-0852

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